Hier matin, une amie a partagé sur un réseau social la citation de Jung, ci-dessous. Celle-ci m’a instantanément inspiré les pensées que je vous livre ici.
« La thérapie ne commence qu’à partir du moment où le malade se rend compte que ce ne sont pas son père et sa mère qui lui barrent la route, mais que c’est lui-même, c’est-à-dire une partie inconsciente de sa personnalité, qui prolonge et perpétue le rôle du père et de la mère. » Psychologie de l’inconscient, Carl Jung
Avec son nouvel ouvrage, « Sauvez votre peau ! Devenez narcissique », Fabrice Midal tord le cou à une idée reçue et ose dire : « Soyez narcissique, ça fait du bien ! »
Lors de mes séances en gestalt-thérapie, je m’entends souvent dire aux personnes que j’accompagne qu’être égoïste n’est pas nécessairement un vilain défaut, une tare dont il faudrait se défaire pour gagner enfin sa place au paradis… La bienséance et notre culture judéo-chrétienne nous susurrent doucement à l’oreille qu’il est de bon ton de se sacrifier pour les autres, et qu’importe qu’on y laisse toutes ses plumes !
Être égoïste, c’est aussi et souvent une étape nécessaire pour retrouver l’équilibre et faire grandir l’estime de soi, c’est décider de se faire une place, décider de se donner à soi-même de l’importance, l’importance juste, celle que l’on donne de préférence et de façon plus naturelle aux autres.
Être narcissique, selon Fabrice Midal, c’est respecter la personne que je suis, sa singularité. Si je prends conscience de la manière dont je me traite, dont je me maltraite souvent, je ne pourrai plus accepter d’être maltraité par les autres, je vais y voir clair sur les situations qui me malmènent et savoir dire non quand ça ne me convient pas. Ce changement de perspective amène à vivre des relations plus saines, et donc plus apaisées. Je peux être ouvert aux autres sans les instrumentaliser et sans me contorsionner pour être quelqu’un que je ne suis pas, puisque je m’autorise à exprimer simplement ce que je suis.
Il ne s’agit pas de devenir le centre du monde et de regarder son beau nombril avec vanité et complaisance… Non, juste faire preuve de patience, se reconnaître, respecter ses besoins et limites, parfois se rencontrer pour la première fois, dans sa vérité pleine et entière. J’encourage mes patients à développer ce regard de compréhension bienveillante vis-à-vis d’eux-mêmes, car cet égoïsme-là est un égoïsme sain.
Si je me respecte et prends en compte mes limites, je vais devenir de plus en plus conscient de mes agissements et de ce qui les motive, je vais devenir de plus en plus responsable aussi de ce que j’offre au monde et aux autres.
En apprenant à m’écouter, j’apprends à écouter vraiment l’autre. Une écoute moins intéressée, pourrait-on dire : pas à partir de mes manques et de mon besoin de reconnaissance ou de mes blessures et de mon besoin de réparation, ou encore du vide que je ressens et que j’aimerais que tu combles !
Si je te donne, à toi, pour éprouver le sentiment de ma propre existence, je t’investis d’une mission bien périlleuse : celle de définir mes contours et de me faire exister. Ce faisant, je t’investis du pouvoir de me donner vie… Cette lourde charge va générer tôt ou tard des violences au sein de la relation et mettre l’autre en situation de toute-puissance, engageant ainsi sa responsabilité de façon inadaptée.
« Les Danaïdes », John William Waterhouse – 1903
Cette recherche de soi tournée vers l’extérieur ne trouve jamais de repos : la reconnaissance que l’on reçoit, issue de cette dynamique trouble – pour peu qu’elle arrive – tombera dans le vide, le vide que l’on a de soi-même.
Si je ne m’aime pas, si je passe mon temps à me dénigrer, à me juger, à me condamner, comment pourrais-je savoir ce qui est bon pour moi, où et quand s’arrêtent mes frontières ? Où et quand j’ai le droit de dire non ? Ce dénigrement permanent de soi fait le nid des maltraitances et manipulations.
La référence aux Danaïdes, figure de la mythologie grecque, condamnées à remplir sans fin un tonneau troué, prend ici tout son sens… Pour me sentir vivant, légitime et aimable, il me faudra acquérir toujours plus : de biens matériels, de compliments, de preuves d’amour, il me faudra me placer toujours plus haut sur l’échelle sociale, obtenir plus de pouvoir, de connaissance… une quête sans fin qui ne sera jamais rassasiée, tant que je ne me serai pas rencontré avec bienveillance, et c’est là tout le message de Fabrice Midal.
Se foutre la paix, comme l’a écrit Fabrice Midal*, c’est aussi accepter que nous ne pourrons pas tout faire.
Se libérer de la pression du temps, arrêter de courir après l’expérience suivante, celle que je n’ai pas encore vécue, celle-ci justement qui manque à mon tableau de chasse et sans laquelle je me raconte que je ne suis pas encore tout à fait complet, pas suffisamment accompli…
Renoncer à vouloir faire à tout prix, au prix de ma paix souvent, à vouloir acquérir plus, à vouloir être ceci ou cela… renoncer et sourire en regardant combien je plie sous le poids des exigences qui m’enserrent.
Est-ce vraiment aussi grave que je l’imagine ? Et si j’acceptais de ne pas tout voir, de ne pas tout vivre, de lâcher la volonté et le contrôle ?
Je pourrais tout aussi bien décider aujourd’hui, à l’instant même, de me regarder avec bienveillance et de sourire de mes tensions, simplement respirer et goûter enfin la vie qui m’anime, admirer sa beauté, sa simplicité, son incroyable intelligence. Elle, n’a aucunement besoin que je sois au contrôle…
Et vous, que décidez-vous pour aujourd’hui ? Rester sous pression etne rien lâcher ou… danser avec la vie ?
« Tant qu’on ne s’est pas fermement engagé, il y a l’hésitation, la possibilité de recul ; toujours l’inefficacité.
Dans toutes les démarches d’initiative (et de création) gît une vérité élémentaire, dont la méconnaissance tue dans l’œuf d’innombrables idées et de superbes projets : au moment où l’on s’engage pour de bon, la providence se met en marche de son côté.
Il se produit toutes sortes de choses favorables qui, sans cela, ne seraient pas arrivées. Une kyrielle d’événements découlent de cette décision, qui suscitent en votre faveur toutes sortes d’incidents, rencontres et aides matérielles intempestifs dont nul n’aurait rêvé bénéficier.
J’ai appris à apprécier avec un profond respect un des vers de Goethe* :
« Quoi que vous puissiez faire ou que vous rêviez de faire, faites-le. L’audace a du génie, de la puissance et de la magie. »
« …Until one is committed, there is hesitancy, the chance to draw back, always ineffectiveness.
Concerning all acts of initiative (and creation), there is one elementary truth the ignorance of which kills countless ideas and splendid plans : that the moment one definitely commits oneself, then providence moves too.
A whole stream of events issues from the decision, raising in one’s favor all manner of unforeseen incidents, meetings and material assistance, which no man could have dreamt would have come his way.
I learned a deep respect for one Goethe’s couplets :
Whatever you can do or dream you can, begin it. Boldness has genius, power and magic in it ! »
« Savoir et ne pas agir équivaut à ne pas savoir du tout. »
« En soi, la conscience de la responsabilité ne va pas de pair avec le changement; elle constitue simplement la première étape du processus de changement. (…) un patient qui prend conscience de sa responsabilité pénètre dans le vestibule du changement. (…)
Pour changer, le sujet doit d’abord assumer cette responsabilité et s’engager à une forme d’action. Le mot lui-même exprime cette capacité : la responsabilité en soi se définit comme l’aptitude à répondre.
La psychothérapie vise le changement, changement thérapeutique qui doit s’exprimer par des actions, non pas du savoir, de l’intention ou du rêve. »
« Thérapie existentielle », de Irvin Yalom, ouvrage paru en 2008 chez Galaade Éditions.
« La vraie sagesse ne consiste pas à enfouir ses émotions, ni non plus à les exposer. Elle implique d’entrer en rapport avec elle, de les écouter, de reconnaître ce qu’elles disent pour déterminer le vrai du faux. (…)
Je ne connais pas de meilleur moyen pour se libérer d’un symptôme que de le prendre à pleines mains. D’aller au bout de sa phobie, de son anxiété, de leur faire face, même et surtout si elles nous font peur. Je suis en colère ? J’oublie l’injonction du lâcher-prise qui est en elle-même le contraire du lâcher-prise. Je ne lâche pas prise, je me fous la paix !
Je ne fais rien, je laisse être ce qui se passe sans le réprimer. Je ne juge pas ma colère, je ne la commente pas, je ne l’autorise pas, je ne l’interdis pas non plus : je prends le risque d’en faire l’épreuve.
Je la goûte même si elle me blesse. L’apaisement vient alors souvent, mais il n’est pas le calme que l’on veut nous imposer en étouffant artificiellement ce que nous sommes en train de vivre.
Tel est le fondement même de la méditation : elle n’est ni une tisane, ni une pilule magique, mais un travail réel avec la douleur, la confusion, les émotions. Elle nous enseigne à les observer telles qu’elles sont (…). A rencontrer tout ce qui nous empêche de nous foutre réellement la paix, à dire bonjour à ce qui est blessé en nous, à dire bonjour à la vie en soi. »
La psychothérapie permet de voir et de mieux comprendre nos modes de réaction et d’interaction avec les autres et parfois de réaliser que nous avons négligé nos besoins essentiels, afin de préserver les relations et la sécurité du système en place, même quand celui-ci est toxique.
Ce retrait, cette « absence » de soi au cœur des liens, est souvent motivé par le désir d’obtenir la reconnaissance, l’amour ou la réparation dont nous avons tant manqué. Quête bien illusoire…
En accueillant les parts de nous qui étaient jusque-là inconnues, blessées ou laissées de côté, et qui mettent des filtres sur notre façon d’appréhender la vie, nous allons nous reconnecter à ce que nous sommes vraiment, et cette reconnexion va nous transformer.
Alors oui, s’engager en thérapie va ouvrir à des ajustements et peut provoquer quelques remous dans notre environnement et sur notre entourage… mais pour un meilleur équilibre.
Reconnaître ses besoins et ses limites, se re-connaître ( au sens de « retrouver dans sa mémoire », ramener à la conscience ce qui est déjà là) – c’est refaire alliance avec sa liberté, reprendre sa part pleine de créateur aux commandes de son existence.
Libre d’être nous-mêmes, nous permettons aux autres d’en faire autant,
à condition pour chacun de prendre la responsabilité de son changement et de pouvoir assumer sereinement son impact sur l’autre et sur la relation.
Suite à la lecture de l’article paru dans le Figaro :